Le vieux connard face à moi signe enfin le bon de commande. Je lui sors mon faux sourire de vendeur. Je lui ai mis la peinture métal, les jantes alus, et ai complété avec les sièges cuirs. Il était venu pour un véhicule simple entrée de gamme, je lui ai refilé le haut de gamme avec un gros moteur. Il semble content, n'est-ce pas l'important ? Son air de satisfaction me fait pas oublier que c'est un sale con de client, et que je redoute surtout de lui ressembler dans quelques décennies. Un dernier papier et je reprends sa vieille BX. Ben oui monsieur, votre vieille merde va directement partir à la casse. J'ai jamais pu blérer cette bagnole.
J'appartiens au monde, je dépends bien du système, j'ai 30 ans et je suis vendeur de voiture. Y'a 10 ans, le vendeur de bagnole me faisait gerber, aujourd'hui, j'en suis un. Le gel coiffant brille dans mes cheveux, il faut reconnaître que ça fait ressortir mes yeux. Dire qu'à seize ans je haïssais cette merdasse collante.
Je n'ai pas vraiment de scrupule à faire ce métier. N'y-a-t-il pas des assassins, des violeurs ou des pédophiles dans ce monde... alors le vendeur de voiture, c'est un gentil !
Je n'ai pas ouvert un livre depuis au moins cinq. Mes collègues m'adorent, je suis le meilleur pour faire des blagues de bites, je suis le plus vulgaire dans mon comportement, jamais à court de commentaire pour relooker le cul de la cochonne qui passe.
Je travaille pour un système économique qui, avant, me faisait perdre l'équilibre par son incompréhension. Je ne rêve plus de soirées entre amis à essayer de comprendre les sciences humaines, à analyser la littérature, à tenter de comprendre le monde dans lequel nous vivons. Je passe juste de soirées entre beauf, sachant que j'y suis le metteur d'ambiance.
Je n'ai pas ouvert un journal depuis 3 ans, à part, bien entendu, la rubrique sportive. Je vais au cinéma voir les blockbusters, finis de prendre du temps à voir des oeuvres d'auteurs ou d'art et d'essai. En musique, je n'écoute plus les paroles, je n'aime que les bass du RnB ou du rap.
Certains matins, le peu de lucidité qu'il me reste me demande si j'ai fait le bon choix. Le tout est de constater que non. Mais rapidement, la bétise reprend le dessus. Je me satisfait de mon rythme de vie, de ma belle bagnole de fonction, de mon grand téléviseur, et de ma jolie cravate.
Il est évident que cet univers de discussion, de débat, d'échange, de culture, de découverte me manque... mais il est trop tard... il est trop tard depuis 10 ans.
Ecrit par , le Dimanche 31 Décembre 2006, 15:18 dans la rubrique "Vie de Pix".
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