Je parcoure les trois kilomètres en deux ou trois minutes. La voiture passe sous la voie ferrée, zizague entre les plots, évite un piéton qui sort de la gare puis franchie le pont au dessus de la nationale 10. Un goût amer me traverse la gorge. Celui de ne pas avoir vraiment envie de revenir par ici. Je contemple ce chemin à la chaleur du chauffage de la voiture. Je me souviens de ces quatre années à le faire en vélo, les doigts à l'air - pas le temps de chercher les gants -, la pollution dans le nez, les phalanges rouges ou le dos trempé à l'arrivée en cours.
Je revois les quatre voies intra-urbaine, les rond-points qui étaient le jeu de mon trajet. Cette course contre la montre constante pour montrer mon respect à un prof en ne dépassant pas les cinq minutes de retard à son cours.
La pendule indique deux heures du matin. Je pense aux retours tardifs de chez Juliette, parfois en vélo, parfois -avec un peu de chance- en voiture avec mon frère. Je repense à toutes ces après-midi dans sa vie, toutes ces soirées ou nuits dans son lit.
"J'étais jeune" me dis-je. Le petit con sur la banquette arrière confirme. Il a sorti les poils de sa chemise, et la veste de costard. Ce petit con s'apprête à passer son bac alors que j'ai à peine conscience d'avoir obtenu le miens.
Je me sens rattrappé et baisé par cette génération qui me suit. Peut-être ne s'amuse-t-elle pas plus que moi au même âge, mais elle donne la sensation du contraire. Son amie me charme, son écharpe orange, son sac en toile... Une sensation de la revoir quelques semaines après notre première rencontre... deux ans plus tôt. A cette âge, les années comptent. Elle est devenue une femme, c'est la femme, c'est celle que je veux ce soir. Je retourne quelques années plus tôt, je me souviens des conseils réciproques avec Gus durant les soirées.
Je parviens à me faire inviter. L'adolescence m'attaque, je suis le seul à avoir déjà tenu un bulletin de vote. L'humiliation est à son comble, je pense à "dix et des poussières." Je m'approche d'elle, lui propose d'aller faire un tour. Elle attrappe ses affaires, exécute quelques au revoir et me suit. Je l'emmène à la voiture. Peu de choses ont changé, la musique sur le chemin n'est plus la même. Le mouv' et Ouifm se sont fait remplacés par le lecteur mp3.
Nous montons doucement les marches dans le noir, main dans la main. Sentiment de transgression. Arrivée dans ma chambre, elle est vide. Mon chez moi n'est pas là, mon chez moi est nulle part et mes meubles sont là-bas. Je retire ma veste, enlève son manteau, et ouvre son gilet. Je suis étonné de la jouissance ressentie au contact d'une peau de seulement trois ans plus jeune que le mienne.
De douceur en caresses, je la déshabille doucement, voit apparaître son corps, caresse ses sens et profite de sa satisfaction. Elle ferme ses yeux. Je perçois la découverte de nouvelles choses et j'exalte de partager ma culture en un domaine si délicat.
à 14:31